Isabelle Blume et Fanny Beznos : l’engagement communiste au féminin

Isabelle Blume, une mémoire et... des archives disputées ?

 
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Isabelle Blume, Présidente coordinatrice de
la présidence du Conseil Mondial de la Paix,
et Krishna Menon, membre du Parlement et
ancien Ministre de la Défense de l’Inde, lors
de l’Assemblée mondiale pour la Paix, 1969,
CArCoB.

Doit-on en rire, doit-on en pleurer ? "L’opération Isabelle Blume" menée récemment sous forme de Memory-jacking, de captation d’héritage ou encore d’interprétation d’intentions posthumes non exprimées est à tout le moins originale.
Le coup du coeur d’un jeune militant socialiste de Baudour devant le délabrement du caveau familial des Grégoire, donc de la tombe d’Isabelle, a permis de sauver et restaurer une concession promise à la disparition. Que la pierre apposée ce 11 mars mette en avant ses qualités de député, d’internationaliste, de pacifiste, de féministe, ne souffre aux yeux de l’histoire que du péché d’omission : la vingtaine d’années de militance intense au sein d’organisations animées par les communistes, dont les quinze dernières d’adhésion formelle et continue au Parti communiste... Donc sa réintégration posthume au PSB renvoie à une opération qu’il n’est pas de notre propos de commenter ici, relevant éventuellement de la morale mais non de l’histoire.
Cependant un point de "l’argumentation" justificatrice se doit d’interpeller le CArCoB : le leg de ses archives à l’IEV témoignerait de son attachement retrouvé en fin de sa vie à son ancien parti... Or précisément les archives d’Isabelle Blume présentes à l’IEV, comme l’indique l’excellent inventaire publié par Linda et Robert Flagothier1, montrent qu’il s’agit des dossiers de la dirigeante de Femmes Socialistes dont l’itinéraire, en même temps que ses archives, s’interrompt brusquement en 1951, date de son exclusion...
Isabelle Blume et ses héritiers ont en revanche légué les archives couvrant la période de 1951 à son décès au CArCoB : deux mètres courants en 17 boîtes retraçant son activité à la Présidence du Conseil Mondial de la Paix. Rapports des multiples congrès, conférences, réunions et rencontres ; correspondances avec les membres de la Présidence aux noms prestigieux (Joliot-Curie, Pierre Cot...), avec les comités nationaux, avec les autres institutions internationales dont l’ONU ; dossiers établis sur des situations particulières. Et bien entendu, les traces des voyages menés d’un bout à l’autre de la planète. S’y ajoutent plusieurs dossiers sur son activité en tant que membre du PCB, en particulier de sa Fédération boraine.
Isabelle Blume était une oratrice aussi passionnée que passionnante. Mais elle écrivait également avec facilité. Ses archives comportent les manuscrits de l’Histoire du CMP qu’elle rédigea (546 pages dactylographiées)2, et les états successifs de plusieurs brochures. J’ai eu le plaisir d’y découvrir aussi la retranscription intégrale de la série d’interviews que je menai avec elle (198 pages dactylographiées) en préparation de ses Télémémoires de 1974 sur la RTBF et dont une infime partie a été utilisée dans l’ouvrage d’entretiens publié par la Fondation Jacquemotte3.
Il y a donc là matière à de multiples travaux, y compris une biographie, complète et critique de celle qui fut, avec la député communiste Alice Adère-Degeer, la première femme élue à la Chambre (en 1936), mais qui n’avaient pu voter...

 

José Gotovitch

 

1FLAGOTHIER, Linda et Robert, Inventaire d’archives du Fonds Isabelle Blume, IEV, 1980.
2Publié sans apparat critique ni mise en perspective en 1996 : BLUME, Isabelle, Le mouvement de la Paix : un témoignage, Gamma Presse et IEV, 1996.
3BLUME, Isabelle, Entretiens recueillis et présentés par José Gotovitch, Fondation Jacquemotte Bruxelles, 1976. (Quelques exemplaires sont encore disponibles au CArCoB).

 

 

Histoires du PCB
 

DOMINIQUE, Philippe, Fanny Beznos ou la passion révolutionnaire, Paris, L’Harmattan, 2014

 

Fanny Beznos, juive bessarabienne, arrivée à Paris en 1913 à l’âge de six ans, intégrée par l’école républicaine, devenue dactylo à 16 ans car l’argent manque dans la famille, n’est qu’une étrangère que son adhésion à 20 ans aux Jeunesses communistes met en danger. La Belgique est sa terre d’expulsion, elle s’y intègre cependant par sa militance immédiate. Cela lui vaudra de connaître le petit jeu (qui n’a rien de ludique) des expulsions répétées, des clandestinités assumées. Jusqu’au jour où le maire communiste de la ville d’Halluin la marie avec Fernand Jacquemotte, lui offrant ainsi la nationalité belge. Un mariage politique qui évoluera. Fernand Jacquemotte, poète d’avant garde à Paris, devient cadre international des Amis de l’URSS, notamment en Espagne où elle l’accompagne.
En dix ans, assumant diverses responsabilités, à proximité immédiate de la direction du PCB, Fanny Jacquemotte va forger ce halo qui la distingue entre toutes et l’inscrit durablement dans la mémoire de toutes les militantes de l’époque. Victime de la clandestinité encore mal assurée des débuts de la résistance du PCB, elle « tombe » en octobre 1941. Elle avait, par la grâce des autorités belges, connu une première déportation au camp de Gurs à l’été 1940. Ravensbrück, où elle réconforte ses compagnes, puis Auschwitz marqueront les étapes finales de son destin. Nous connaissions de Fanny les grandes lignes de son parcours. Mais voici qu’un neveu de Fanny, déporté de France à Auschwitz à 15 ans ainsi qu’une soeur qui vécut à Paris jusqu’à tout récemment, nous sont révélés et inspirent et documentent l’auteur de ce travail. Fanny fut liée au groupe de la Révolution surréaliste et publia dans sa revue. Breton l’évoque dans un roman. L’ouvrage nous présente aussi le cocon familial, et notamment la forte identité juive de sa famille, que Fanny a très peu importée sinon - et ceci pose question - qu’elle s’inscrit au registre des Juifs en décembre 1940 ! Arrêtée comme communiste belge, Fanny disparaîtra dans la solution finale.
Lié manifestement par une forte empathie à son sujet, Dominique Philippe garde cependant la distance et déroule le trajet complet de cette révolutionnaire du XXème siècle. Sa reconstitution minutieuse offre des clés de compréhension de l’engagement militant communiste dans ce siècle. C’est par ces parcours militants que peut se comprendre pourquoi le communisme est apparu pour une partie de cette jeunesse des années ’30 comme le chemin de l’émancipation, rêve généreux alimenté par la brutalité des rapports de classes, le statut de paria « offert » aux étrangers, la violence du fascisme telle qu’appréhendée personnellement par Fanny en Espagne. Il a raison de constater que sa vie « ne sera qu’une série de rendez-vous avec la violence d’État ».
Aujourd’hui que l’histoire du communisme n’apparaît pour les maîtres du penser correct que sous la forme d’une suite inintelligible de crimes, il est courageux voire téméraire de livrer à l’édition non pas un panégyrique, mais la vie d’une militante dont la réalité vécue offre un sérieux contrepoint à cette vision unilatérale, donc biaisée.

 

J.G.

 

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