Histoires du PCB

Autobiographie

Un itinéraire engagé, un document rare : les Souvenirs de Jacques Moins (1929 - 2011)

 
JPEG - 49.7 ko
Jacques Moins, Collection CArCoB.

Bien que l’ordinateur et l’autoédition commencent à modifier le tableau, les autobiographies politiques (hors écrits propagandistico-électoraux) demeurent peu nombreuses en Belgique et plus rares encore, celles de militants communistes. Une vingtaine de textes à peine prennent place dans cette catégorie, mais très peu de ceux-ci livrent une réflexion sur leur engagement et six seulement embrassent le parcours complet de l’auteur. Le PCB n’a connu que peu de démissions fracassantes productrices de règlements de compte explicatifs. Le livre de Fernand Demany (Si c’était à refaire), écrit à chaud, et le réquisitoire auto-glorificateur (préface à la réédition du Délire logique) rédigé cinquante ans après les faits par Paul Nothomb, demeurent les seuls du genre. Seules les Mémoires de Jean Blume et de Madeleine Jacquemotte ont pris le recul nécessaire à la réflexion, mais elles ont été rédigées avant la disparition de l’URSS et l’évaporation totale du PCB. C’est ce qui donne une valeur exceptionnelle au texte que Jacques Moins nous a laissé.

C’est toute une vie militante qui nous y est contée, mais aussi un parcours d’avocat aux connexions fréquentes, ce qui amène une action et réflexion politiques aux prises avec le monde réel, sans être enfermées dans la gangue des appareils de parti souvent nombriliques.
Né dans une famille bourgeoise, laïque et de gauche, Jacques Moins milite aux Étudiants socialistes à l’ULB. Ils sont quelques-uns, dont Louis Van Geyt, qui accompliront à la fin des années ‘40, le passage aux Étudiants communistes, principalement par opposition à l’atlantisme dont le PSB est devenu le héraut. Il vit dans cette serre chaude qu’est l’ULB les moments intenses de la guerre froide, dans l’exaltation de la juste cause, sans oublier de proclamer, avec les É.C., « un militant triste est un triste militant ».

Détailler la succession des fonctions qu’il assume tout au long de sa vie militante, c’est à dire sa vie entière, réduirait cette page à un inventaire à la Prévert. Il occupe en effet des responsabilités internes, de la section d’Ixelles au Comité fédéral bruxellois et au Comité Central, la direction de la Maison de la Presse. Il est « l’inventeur » des grandes fêtes du Drapeau Rouge, alors rendez-vous festifs et culturels exceptionnels. Conseiller d’agglomération (1971), conseiller communal à Bruxelles (1976), il est l’homme de liaison avec les communistes italiens de Belgique et par là, très vite, le spécialiste « émigration » du parti.

Jacques Moins détaille tout cela avec précision, mais surtout avec un regard à la fois critique et souvent ironique, passionnément heureux des batailles menées, au sein et en dehors du parti. Car les adversaires déterminés mais aussi les supporters flexibles et ondoyants n’ont pas ménagé les critiques envers ce très précoce fédéraliste et ardent partisan de l’eurocommunisme.

On lira aussi avec grand intérêt ses réflexions sur la justice et le monde du barreau, une analyse pertinente et pointue d’un avocat qui a porté des causes sans doute « peu glamours » mais essentielles pour les droits des travailleurs, belges et étrangers. Rappelons qu’il fut un des avocats des mineurs du Bois du Cazier.
Jacques Moins expose in fine les interrogations que durent se poser bien des communistes que la disparition d’un engagement communiste crédible laissaient à quai.

Une histoire politique de Bruxelles, une vie d’intellectuel communiste, d’un militant aux sentiments discrets mais à la parole incisive, une chronique précise, qui servira aux historiens, aux politologues, et à tous ceux qu’intéressent les parcours vrais .
Mais qui pouvait donc être et demeurer un communiste à Bruxelles dans la deuxième moitié du XXe siècle ?

José Gotovitch
Jacques Moins, Souvenirs (1929-2011), Préface de Philippe Moins, Index, Tapuscrit, 2014, 198 pages. Bibliothèque du CArCoB : TAP/001.
 

 

GÉRARD, Emmanuel, DE RIDDER, Widukind et MULLER, Françoise, Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres de la guerre froide en Belgique, Bruxelles, Renaissance du Livre, 2015. 349 p.

 

Depuis la grande enquête menée par Etienne Verhoeyen et Rudi Van Doorslaer publiée en 1985, on sait que c’est un groupe de droite catholique, léopoldiste et patriote belge, francophone, de Hal qui avait fait le coup. Après sa mort, le nom de l’auteur des coups de feu a été révélé : François Goossens. Mais il restait une part de mystère. Qui étaient les commanditaires ? Pourquoi l’enquête judiciaire n’a-t-elle pas abouti ? Emmanuel Gérard, Widukind De Ridder et Françoise Muller apportent des réponses dans leur livre. Cette équipe d’historiens du CEGESOMA a finalement rencontré un vœu du Sénat : une enquête sur l’enquête. Au départ, Sabine Laruelle, ministre MR du gouvernement fédéral, a refusé le projet. Il a été relancé par l’initiative citoyenne de Véronique De Keyser puis financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles et finalement la Wallonie.

Grâce à Jules Raskin, avocat de la partie civile, la copie du dossier judiciaire a pu être sauvée, lors du classement sans suite par le Parquet. Elle se trouve au CArCoB. Heureusement car la Justice a perdu l’original. Ce dossier (10.000 pièces environ) a été le point de départ de la recherche complétée par le dépouillement de nombreuses autres archives officielles et privées.

En conclusion : le parquet de Liège a fait honnêtement son travail mais il a été saboté par les sections politiques de la police judiciaire. André Moyen est au centre de l’affaire. Cet ancien résistant de l’Armée secrète, lié à la Sureté militaire et fondateur d’une agence de lutte anticommuniste, avait informé le ministre de l’intérieur sortant de charge Albert De Vleeschauwer, de l’assassinat et affirmé qu’il connaissait ses auteurs. Plusieurs autres personnes du monde politique et des affaires étaient au courant également, parmi eux Herman Robiliart, haute personnalité de l’Union minière et de la Société générale de Belgique. Robiliart qui, avec d’autres hommes d’affaires, finançait les services de Moyen et a continué à faire appel à eux au Congo, même après l’expulsion de Moyen à la demande de la Sûreté congolaise.

L’enquête, minutieuse et très riche permet de reconstituer l’assassinat de Julien Lahaut et décortique toute la nébuleuse anticommuniste en Belgique pendant la guerre froide. Faute de sources, il n’a pas été possible à l’équipe d’aller plus loin sans sortir d’un travail scientifique.

Restent quelques questions : Moyen était-il le vrai chef du commando qui a tué Lahaut ? De Vleeschauwer en était-il le commanditaire ? Y-a-t-il, (via la CIA ?) un rapport entre l’assassinat de Lahaut, celle des dirigeants communistes péruviens et japonais et les tentatives d’assassinat sur Togliatti et Duclos aux débuts de la guerre froide ?

JP
À lire : Emmanuel Gérard, Widukind De Ridder et Françoise Muller , Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres de la guerre froide en Belgique, Renaissance du livre, 2015.
 

 

Sur la piste de Yu Bin - Un film de Jean-Christophe Yu, sorti en janvier 2016.

 

Voici la famille de Yu Bin. Son père avait participé à la révolution républicaine de 1911 et avait des ambitions pour son fils qu’il envoie étudier en Europe. Après bien des pérégrinations, Yu Bin se retrouve à l’école polytechnique de Liège. Il rencontre et épouse une Liégeoise. Un fils naît : Georges Yu. Poussé par les difficultés de la vie, et appelé par sa famille, Yu Bin rentre en Chine et se reconvertit dans l’acupuncture.

Mais quel rapport avec l’histoire du communisme ? Il se fait que Georges Yu épouse Fanny, fille de communistes : Paul Renotte, artiste, échevin des Beaux- Arts de la Ville de Liège après la guerre et Jeanne Massart, infirmière accoucheuse, pionnière de l’accouchement sans douleur, proche de Willy Peers. Le jeune couple s’engage, milite à Paris et à Liège et participe aux festivals mondiaux de la jeunesse des années 1950. Le film de Georges Yu Les rues de Liège, réalisé en 1956, est truffé de références discrètes au parti communiste. Leurs fils Maxime et Jean-Christophe rejoignent la jeunesse communiste des années 1970-1980. Ils restent aujourd’hui fidèles à leurs idéaux.

De l’autre côté de la planète, Yu Bin s’enthousiasme pour la révolution de 1949, puis déchante, critique le « grand bond en avant » et est condamné à 15 ans de camp de rééducation. Il ne survivra pas. Une autre branche de la famille, membre du PC Chinois, traverse toutes les turbulences et finit par retrouver les Yu de Liège et leur annonce la réhabilitation officielle de leur grand-père.

Le film de Jean-Christophe Yu est remarquable par sa recherche historique. Ignorant tout de Yu Bin, il suit sa piste à partir d’une correspondance postale léguée par son père. Car si Yu Bin a refusé de faire venir sa femme et son fils en Chine, il a entretenu un échange de lettres avec eux et s’est préoccupé de leur sort tant qu’il a pu. Jean Christophe Yu a consulté de multiples archives dont certaines au CArCoB et mis en parallèle son histoire familiale avec l’histoire de la Chine, s’appuyant sur de nombreux extraits de films d’époque.

Il aboutit à une œuvre cinématographique dense qui donne un éclairage intimiste sur l’engagement et le profond humanisme des communistes de base au 20ème siècle.

Jules Pirlot
Sur la piste de Yu Bin a été projeté à Bruxelles, à Liège et à Paris. Le film a été diffusé sur les antennes de la RTBF et est disponible en DVD (sur commande au CArCoB).
 

Jean-Christophe YU a confié au CArCoB un disque dur externe contenant toute la filmographie de son père aujourd’hui décédé, la sienne jusqu’en 2014 ainsi qu’une masse de photos, bouts de film, extraits de reportages télévisés relatifs à l’histoire du PCB, l’activité de la Fondation Joseph Jacquemotte et de l’Association culturelle Paul Renotte. L’inventaire est accessible au CArCoB.

En vente au CArCoB au prix de 15€ À acheter sur place ou par correspondance.
 

 

MOREEWS, Alain, La grève des mineurs du Borinage (Belgique, 1932 - 1936). Cinéma et littérature, Paris, L’Harmattan, 2015. 260 p.

 

Depuis sa résurgence dans les années soixante, nous disposons de nombre d’ouvrages qui ont tiré de l’ombre l’aventure du film Misère au Borinage d’Henri Storck et Joris Ivens présenté à Bruxelles en mars 1934, dont le remarquable numéro double de la Revue Belge de Cinéma du printemps 1984, dirigé par Bert Hogenkamp et Henri Storck. Voici un nouvel ouvrage qui a le grand mérite de replacer l’aventure de ce film d’avant-garde dans son contexte politique et idéologique national et international. Brossant le portrait des acteurs dans les grands flux qui balaient le monde intellectuel des années trente, les orientations successives de l’Internationale communiste, le surréalisme, le marxisme et l’antifascisme, il fait émerger les figures des cinéastes, les contours des associations créées pour mener ces combats. Jean Fonteyne, Pierre Vermeylen, André Gide, Aragon, André Thirifays, les équipes successives des trois versions de Borinage défilent tour à tour dans un tumultueux ballet dont on a parfois quelque difficulté à suivre les enchaînements. Notre auteur a tout lu, tout vu sur le sujet et nous offre en 250 pages une remarquable synthèse sur ce film qui fit de la Belgique une pionnière du documentaire social, ce qui visiblement, à l’époque de sa sortie, ne fut pas évident, même pour ses initiateurs.

J.G.
 

 

Quelques Masters et Doctorats en histoire et sociologie

- BOLLE, Francine, La mise en place du syndicalisme contemporain et des relations sociales nouvelles en Belgique (1910 - 1937), t.1 et 2, thèse de Doctorat, ULB, 2014. Cette très importante thèse retrace notamment la politique syndicale menée par le PCB entre les deux guerres.

- THOMAS, Adrian, « Une telle indiférence ». La présence communiste dans les entreprises belges de l’après-guerre (1945 - 1948), Mémoire de Master, ULg, 2015. Ce travail concerne également la pratique syndicale.

Ces deux travaux ont fait partie avec la thèse d’Anne-Sophie Gijs, Le pouvoir de l’absent, des candidats au Prix du CArCoB, édition 2015. Le rapport du jury est consultable sur notre site internet : http://CArCoB.eu/IMG/pdf/prix_15_ra...

- BERNARDO Y GARCIA, Luis Angel, Le ventre des Belges. Miracle économique et restauration des forces du travail. Origines et développement de la politique alimentaire du second immédiat après-guerre (1914 - 1948), thèse de Doctorat, ULB, 2015. Ce travail extrêmement fouillé retrace, notamment, d’une manière toute nouvelle et éclairante, et au-delà des clichés, la politique menée au gouvernement par le secrétaire général du PCB, Edgar Lalmand, alors ministre du Ravitaillement.

Enfin deux chercheurs italiens éclairent l’activité et la politique des communistes italiens en Belgique :

- AMODEO, Mario, Il PCI a Bruxelles. Le relazioni tra i partiti comunisti italiano e belga negli anni dell’eurocomunismo (1974 - 1979), Tesi di Laurea, Università di Pisa, 2015.

- GANCI, Elisa, Comunisti e socialdemocratici a confronto. L’emigrazione italiana in Belgio (1946 - 1969), Tesi di Dottorato, Università degli Studi di Catania, 2015.

Rappelons que la consultation de ces travaux déposés au CArCoB, nécessitent l’autorisation de leur auteur.

 

 

Trouvaille historique sur Youtube...

JPEG - 45.9 ko
Interviews with Buchenwald concentration camp
survivors, 26/04/1945, Capture d’écran, source
Youtube.

Voici une trouvaille historique issue de Youtube. Nous découvrons Jean Blume interviewé par un cinéaste militaire américain le 26 avril 1945, plusieurs jours après la libération du camp de Buchenwald. Cette archive filmique de 11 minutes nous présente une série d’interviews de détenus du camp.
Jean Blume a été rédacteur à la Voix du Peuple et dirigeant de la JGSU clandestine. Il fut incarcéré à Breendonk et déporté à Buchenwald. Après-guerre il fut l’un des dirigeants du PCB, siégeant notamment à la direction fédérale bruxelloise, au Comité Central et au Bureau Politique.

Cette découverte nous a été transmise par son fils Paul Blume. → https://youtu.be/BRckh0ObfMU
 

 
PDF - 1.1 Mo
Télécharger cet article en pdf